Introduction : L’urgence de former dès aujourd’hui pour les défis de demain
Dans un monde bouleversé par le dérèglement climatique, l’éducation n’est plus seulement un vecteur de savoir : elle devient une ligne de front. Pour le Maroc, engagé dans une ambitieuse trajectoire de neutralité carbone et d’adaptation aux effets du changement climatique, la formation de la jeunesse aux métiers verts constitue un levier stratégique essentiel.
Dès 2021, le Royaume a réaffirmé son engagement à travers sa Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD), en intégrant des axes clairs pour l’éducation verte. À l’horizon 2030, le pays ambitionne de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 45,5% (selon les contributions déterminées au niveau national, ou CDN), tout en générant 52% de son mix énergétique à partir de sources renouvelables. Ces objectifs, rappelés dans la Feuille de Route pour l’Éducation au Développement Durable (2022–2035), impliquent une refonte profonde de l’enseignement dès l’enfance.
📚 « Le développement durable ne peut se réaliser sans l’appropriation de ses valeurs dès le plus jeune âge. L’école doit en être le foyer naturel. »
— Ministère de la Transition Énergétique et du Développement Durable, Rapport national COP27, 2022.
Mais au-delà des slogans, une question cruciale se pose :
Quelles sont les compétences concrètes qu’un enfant marocain doit acquérir dès aujourd’hui pour pouvoir contribuer, demain, à une économie verte, éthique et résiliente ?
Cet article répond à cette question en établissant une liste raisonnée, documentée et alignée sur les cadres nationaux et internationaux, des savoirs fondamentaux à transmettre aux jeunes générations, en lien avec :
les priorités du Maroc à l’horizon 2030 et 2050 ;
les besoins futurs du marché du travail vert ;
les transformations technologiques liées à l’environnement.
Car l’enjeu n’est plus de savoir si l’école doit changer, mais comment elle peut préparer une génération d’enfants capables de réparer, inventer et vivre en harmonie avec le vivant.
II. Compétences techniques fondamentales
Pour former des enfants capables d’intégrer les futurs métiers de la Green Tech, il est indispensable de leur transmettre, dès l’école primaire ou le collège, un socle de compétences techniques de base. Ces compétences sont celles identifiées à la fois par les institutions marocaines et les organismes internationaux comme l’UNESCO, la Banque mondiale ou l’OCDE, dans le cadre de la transition écologique.
Voici les principales à cibler dans le contexte marocain :
1. Compréhension des systèmes d’énergies renouvelables
Le Maroc ambitionne d’atteindre 52% d’électricité issue de sources renouvelables d’ici 2030 (MASEN, 2023). Cela implique un besoin croissant en jeunes techniciens et ingénieurs capables de concevoir, gérer et entretenir ces systèmes.
Dès le plus jeune âge, les enfants peuvent être sensibilisés aux principes de base suivants :
Comment fonctionne un panneau solaire ?
Quelle est la différence entre éolien et hydraulique ?
Qu’est-ce qu’un micro-réseau ou une batterie de stockage ?
📚 « Une transition énergétique réussie passe par la démocratisation de la connaissance des flux énergétiques dans toutes les couches de la société. »
— Stratégie MASEN 2030, p. 14
2. Maîtrise de la mesure environnementale
Les enfants doivent être capables d’obtenir, lire et interpréter des données environnementales simples : température, humidité, consommation d’eau, etc. Cette compétence est centrale dans les métiers liés à la gestion intelligente de l’énergie, à l’agriculture de précision ou à la surveillance des écosystèmes.
Exemples de compétences à enseigner :
Lire un thermomètre digital
Utiliser une station météo scolaire
Visualiser des données simples sur des graphiques
📚 L’UNESCO recommande, dans son rapport 2022 sur l’éducation au climat, d’intégrer des modules de « littératie environnementale » dès la fin du primaire.
3. Initiation à la programmation appliquée
Apprendre à coder ne signifie pas transformer les enfants en ingénieurs logiciels. Mais une initiation à des langages simples (comme Scratch ou Blockly) permet de stimuler la logique de résolution de problèmes, tout en ouvrant la voie à des applications concrètes.
Exemples de projets à développer en classe :
Un mini-programme de gestion d’arrosage selon la météo
Une alarme contre la pollution sonore
Un capteur solaire qui déclenche une LED
📚 « L’initiation au codage devient un pilier transversal de l’enseignement des sciences, notamment dans les contextes climatiques. »
— Plan d’action STEM Maroc – Fondation OCP, 2023
4. Fabrication numérique & conception éco-tech
L’essor de la fabrication numérique (FabLabs, impression 3D, kits Arduino) permet aux élèves de manipuler des composants simples pour créer des outils low-tech utiles à l’environnement.
Les compétences visées incluent :
Savoir assembler un circuit électrique
Comprendre la logique d’un capteur
Fabriquer un objet utile à partir de matériaux recyclés
Le programme « Écoles numériques pour le climat » initié en 2024 par l’Université Mohammed VI Polytechnique propose déjà ces modules dans 12 lycées publics.
5. Cartographie et géolocalisation climatique
La capacité à visualiser l’espace et ses dynamiques environnementales est stratégique dans des domaines comme l’aménagement durable, la gestion des risques ou la reforestation.
Compétences accessibles aux collégiens :
Lire une carte topographique
Comprendre les zones de risque (feux, inondations)
Tracer un itinéraire en fonction d’un objectif écologique
📚 Selon l’IRES, les compétences géospatiales simples devraient devenir « un apprentissage clé de la génération climat au Maghreb » (note stratégique 2024).
III. Compétences transversales et comportementales
La formation aux métiers verts ne se limite pas aux savoirs techniques. Elle exige aussi une transformation des manières de penser, de percevoir, de coopérer et d’agir. Les organisations internationales comme l’UNESCO, l’UNICEF et le PNUD insistent sur l’importance de ces compétences dites "soft" dans toutes les trajectoires d’avenir liées à la transition écologique.
Voici celles à privilégier dès l’enfance.
1. Pensée critique et systémique
L’une des erreurs les plus fréquentes dans les formations classiques est de traiter les enjeux climatiques comme des sujets isolés. Or, les défis écologiques sont interconnectés : climat, biodiversité, économie, culture.
Apprendre à faire des liens, à interroger les causes et les conséquences, à envisager plusieurs scénarios — voilà le cœur de la pensée critique.
📚 « Les enfants doivent pouvoir saisir les effets en cascade d’une action humaine. Comprendre un système, c’est déjà commencer à le réparer. »
— UNESCO, Education for Sustainable Development Goals, 2019
2. Coopération et résolution de conflits
La plupart des projets écologiques — jardins collectifs, énergie communautaire, gestion de l’eau — exigent de savoir collaborer, dialoguer et négocier. Dès le primaire, ces aptitudes peuvent être développées à travers :
Des projets collectifs de recyclage ou de plantation ;
Des jeux de rôles simulant des négociations environnementales ;
Des cercles de parole sur les usages partagés des ressources.
📚 Le rapport “Youth Skills for Green Recovery” du PNUD (2022) souligne que les compétences de coopération sont les plus recherchées dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture régénérative et de la gestion des ressources.
3. Empathie écologique
Cette compétence est encore trop peu citée dans les cadres éducatifs formels, mais elle est centrale dans la transition : savoir ressentir, se relier, et reconnaître la valeur du vivant non humain. Elle s’enseigne à travers la poésie, l’observation naturaliste, l’art, le soin aux animaux ou aux plantes.
📚 « L’écologie sans empathie n’est qu’un programme technique. Le cœur doit apprendre à entendre la forêt. »
— Cécile Renouard, philosophe, Éthique de la transition, 2020
4. Imagination prospective et innovation sociale
Former à la Green Tech ne signifie pas uniquement maîtriser des technologies : c’est aussi imaginer des solutions nouvelles, souvent collectives, adaptées à un contexte culturel ou géographique précis.
Par exemple :
Imaginer un écoquartier dans son propre village ;
Créer un jeu de société sur la gestion des ressources naturelles ;
Inventer un métier qui n’existe pas encore, mais qui pourrait naître d’un besoin climatique.
📚 Dans la note stratégique 2023 du Conseil Supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique, l’imagination est décrite comme « une compétence d’utilité publique pour la résilience nationale. »
IV. Intégration dans le système éducatif marocain
Si les compétences techniques et transversales précédemment citées forment un idéal à atteindre, elles ne sont pas (encore) toutes intégrées de manière systématique dans les cursus éducatifs marocains. Néanmoins, plusieurs initiatives pilotes, réformes sectorielles et partenariats éducatifs montrent que cette transition est en marche.
1. La Feuille de route pour une Éducation au Développement Durable (2022–2035)
Pilotée par le Ministère de l’Éducation Nationale en partenariat avec la Fondation Mohammed VI pour la Protection de l’Environnement, cette feuille de route pose les bases d’une transformation pédagogique intégrant :
l’enseignement de l’environnement dans toutes les disciplines scolaires,
la création de clubs verts dans les établissements,
l’évaluation de l’empreinte écologique des écoles.
📚 « L’éducation au développement durable doit être transversale, expérientielle et fondée sur l’action. »
— Rapport officiel de la Fondation Mohammed VI, 2023
2. Programmes existants intégrant déjà ces compétences
Voici quelques exemples concrets :
“Green Schools” : 1800 écoles labellisées, avec mise en place de potagers scolaires, tri des déchets, économies d’eau et d’énergie.
“Robotics for Climate” : Concours initié par l’Université Al Akhawayn et le Ministère de la Transition Énergétique, intégrant la robotique appliquée à la gestion de l’eau.
Lycée Mohammed VI de l’Excellence – UM6P : Introduction de la fabrication numérique, de l’IA climatique et du design durable dès le secondaire.
Go My Code et écoles numériques associées : Apprentissage de langages de programmation et prototypage d’objets connectés pour le climat.
Programmes d’apprentissage rural soutenus par l’INDH : Transfert de compétences liées à l’eau, à la terre, et à la construction bioclimatique.
3. Recommandations pour intégrer ces compétences à large échelle
Pour les décideurs éducatifs :
Inscrire les compétences vertes dans les référentiels nationaux des cycles primaire, collégial et technique.
Former les enseignants à la transition écologique (stages, MOOC, modules en IUFM).
Évaluer les écoles selon leur capacité à développer ces compétences (non seulement les résultats académiques).
Pour les enseignants :
Introduire des projets interdisciplinaires liés à l’environnement : fabriquer une mini-serre, coder une station météo, imaginer une ville verte.
Valoriser les savoirs traditionnels et la mémoire écologique locale : terrasses, khettaras, herbiers, etc.
Inviter des professionnels du secteur vert pour témoigner dans les classes.
Pour les parents et les communautés :
Soutenir les clubs verts ou projets scolaires avec des ressources locales.
Créer des bibliothèques de quartier ou des espaces nature partagés.
Encourager les enfants à participer à des concours, des forums, des initiatives de terrain.
Conclusion : Éduquer aujourd’hui ceux qui répareront demain
Les compétences vertes ne sont pas un luxe. Elles sont une nécessité civilisationnelle, un nouveau socle éducatif qui relie la main, l’esprit et la terre. Former les enfants à ces compétences, c’est construire un avenir où la technologie ne sera plus un instrument d’extraction, mais un prolongement du soin, de l’équilibre et du vivant.
Le Maroc, par ses ambitions 2030–2050, a tracé la ligne d’un futur possible : celui d’une souveraineté énergétique verte, d’une jeunesse instruite aux enjeux climatiques, et d’une économie fondée sur la résilience et l’innovation.
Mais pour franchir cette ligne, il faut que les salles de classe s’ouvrent aux vents du désert, aux sols fertiles, aux circuits imprimés et aux langages du code…
Il faut que les enseignants deviennent aussi des passeurs d’éthique écologique, et que les enfants deviennent les architectes sensibles d’un monde à réparer.
« Nous ne cherchons pas seulement à préparer nos enfants à un métier.
Nous cherchons à leur donner les outils pour que le métier lui-même redevienne une forme de soin. »
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Pour aller plus loin :
Nous mettons bientôt à disposition une fiche de compétences détaillée en libre accès, à destination des enseignants, parents et éducateurs souhaitant intégrer ces apprentissages dans leur parcours pédagogique. Inscrivez-vous à notre lettre d’information pour en être informé(e) dès sa publication.
Et si vous connaissez une école, une association ou un programme qui mérite d’être mis en lumière, écrivez-nous. Vous contribuez ainsi à bâtir une cartographie nationale des savoirs verts.